Un écrivain, un peintre et un musicien se rencontrent par hasard et par nécessité, locataires peu fiables qui se succèdent, clients fraternels qui partagent un plat de brasserie. Leur vie de bohème a l'amertume du prix à payer pour vivre en cohérence avec ce qu'ils sont : l'argent manque et même lorsqu'il est là, sonnant et trébuchant, il annonce déjà la précarité de ceux qui le dépensent sans organisation ni sens des priorités, au service d'une belle vie éphémère qui n'assure pas les bases de la survie. Mais quel intérêt y aurait-il à manger pour survivre, à se loger pour réchauffer un corps ? La vie de bohème brise l'apparente évidence des vies rangées, jusqu'à l'excès elle substitue à la stabilité et au confort la précarité et l'insouciance. S'il y a de la nourriture elle doit être belle, elle ne doit pas avoir la modestie du compromis ou la tristesse de la misère ; cette exigence d'esthète est aussi celle de Kaurismaki, de son cinéma que l'on dirait fait de belles gravures animées, d'un dépouillement qui n'est plus tant une insuffisance qu'une façon, pas comme une autre, d'être. L'essentiel émerge lorsque les structures matérielles reines déclinent : l'étrange amitié des trois artistes, leur entraide naturelle et l'amour de Mimi, amour déroutant et crasseux qui se savoure et se comprend précisément dans ce dénuement.
La vie de bohème ne dit rien ni ne propose aucun modèle : il n'y a pas de génie dans les tableaux du peintre ou dans les lignes de l'écrivain, il n'y a au fond aucune raison d'admirer leur dévouement borné d'artistes, c'est de leur liberté dont nous parle Kaurismaki, une liberté douce et amère dans laquelle l'homme ne s'oublie pas lui-même.