mercredi 29 décembre 2010

Des sourires et des hommes - sur la comédie romantique


On entend par "comédie romantique" la constance d'une structure narrative et d'un rythme propre à ce genre qui a peut-être plus de mal qu'aucun autre genre à se renouveler parce qu'il ne prend sens qu'en imposant par la répétition sa version du monde et de l'amour. De nos jours la comédie romantique est donc astreinte à ce retour du même avec parfois une once de considération pour ce qui change dans les rapports homme-femme. Elle semble vouloir prescrire une certaine direction dans le changement, se nourrissant du réel et l'influençant (comme si l'influence du cinéma ne pouvait s'exercer qu'à ce niveau malléable plus que les autres : le désir entre femme et homme), tout en étant toujours dans le hors-sujet, le hors-réel propre à la fiction. L'émergence de la publicité à même les comédies romantiques, comme autant de repères communs à la fiction et à notre réalité, joue de cette ambiguité-ci.

Le genre de la comédie romantique est en soi un handicap, un fardeau que réalisateur et acteurs acceptent de porter ensemble et qui ne sert qu'à être transcendé, dépassé. Une comédie romantique n'est pas appréciée pour le respect des codes qu'elle se doit de respecter pour être une comédie romantique mais pour la façon dont elle s'arrange avec ses codes, dont elle fait preuve d'audace malgré les codes. C'est en cela que l'on vante souvent les mérites des comédies romantiques "originales", se situant dans un entre-deux où elles sont à la fois classées et inclassables dans leur genre.

Le plaisir qu'exacerbe la comédie romantique, plus que tout autre genre, est qu'elle nous fait vivre une expérience close, c'est à dire que notre intérêt pour le film se termine précisément lorsque le film se termine. le film se désintéresse de ses personnages en même temps que nous. L'histoire est en un sens consommée, jetée en même temps qu'elle nous jette.
Or la clôture d'une comédie romantique reste ambiguë et c'est là toute la force de ce genre: il nous donne à voir ce qu'il y a avant que tout commence, avant que la relation enfin acceptée par le monde ne commence. Elle nous présente les origines du début, ce moment où deux êtres charismatiques décident de former un couple charismatique comme une façon de céder à l'attente du spectateur qui ne désire que de voir le couple enfin formé. Ce moment où ils ne sont pas encore perdus l'un dans l'autre et où il y a encore assez d'enjeux de lutte pour faire un film. Une fois le couple formé, un travelling arrière s'éloigne symboliquement d'eux comme si leur histoire, exempte de luttes, n'avait plus rien à nous dire et se perdait dans la rumeur de la foule qui regorge de mille autres histoires. Le couple réintègre cette normalité synonyme d'harmonie, de lien apaisé entre lui et le monde; le monde devient euphoriquement à lui.

Le film avance sur des évidences à imposer, à faire surgir. Il y a d'abord l'évidence de l'ignorance : il est normal que nous ne nous connaissions pas, nous ne sommes pas du même milieu mais nous devons quand même traiter ensemble pour affaire.
Puis l'évidence de la reconnaissance : je me rends compte que c'est toi que j'attendais, le monde t'a fait prostituée et moi homme d'affaires mais j'ai su te reconnaître par-delà les contingences.
Enfin l'évidence de la lutte : je suis marié, j'ai une situation mais tu passes avant tout le monde, reste à le faire comprendre à ce "tout le monde". La comédie romantique se termine lorsque la lutte pour la reconnaissance par le monde prend fin. Ce "monde" c'est: le milieu social de l'un ou de l'autre, la famille officielle où encore l'un des deux protagonistes (l'Homme en fait) qui est attaché à sa vie d'avant, issu de ce monde qu'il a intériorisé, et qui en le réintégrant comprend que sans la Femme cela sera insupportable. La Femme est très souvent celle qui jusqu'au bout reste fidèle à l'idée de leur couple comme projet à venir et à construire. La trahison vient par l'Homme, c'est son mouvement, son éloignement et son retour qui font le film, la Femme est ce par rapport à quoi l'Homme se déplace. C'est lorsque lui décide qu'il est amoureux que le couple peut enfin se désigner comme couple. (Pretty Woman, Avanti!, Ariane, Le mariage de mon meilleur ami, Sabrina, L'Amour sans préavis, etc.)

Notons que (à ma connaissance) la seule fois où les rôles se sont intervertis et où la Femme a eu le culot d'avouer ses sentiments (qu'elle pensait partagés) à son meilleur ami qui s'apprêtait à se marier, celui-ci lui a reproché de tout gâcher, et la fiancée a insulté publiquement la Femme. Le mariage de mon meilleur ami, comédie romantique d'une rare violence, se terminant sur un slow entre vieux amis pendant que le couple fraîchement marié partait en lune de miel.

Il y a plusieurs fins possibles à une comédie romantique
- il y a très souvent le départ de la fin, la Femme a accepté un travail à l'autre bout du monde et l'Homme s'est tardivement rendu compte que deux ans sans elle ce serait impossible: il n'est plus à ce qu'il fait mais est parasité par la pensée de ce qui se passe au moment même où il vaque à ses occupations habituelles, conscient d'une synchronicité qui lui est insupportable: "elle est avec ses valises en train d'embarquer et moi je travaille sur le dossier de Madame Butler, c'est insensé". Faute de pouvoir suspendre le temps et rejoindre la Femme il y a une accélération du rythme jusqu'à l'arrivée l'aéroport (avant c'était plutôt la gare), retrouvailles et suspension du temps : "ne dis rien, je me suis rendu compte que"/ "je suis à côté de toi dans l'avion, surprise", mieux encore, dans un accès d'euphorie, le message public que tout le monde peut entendre, la Femme oscille entre la honte et le ravissement(Coup de foudre à Notthing Hill). Parfois le message peut être crypté, compréhensible qu'aux seuls protagonistes (Vacances romaines)

Il peut aussi y avoir l'option plus réaliste du "je t'attendrai pendant ces deux ans, compte sur moi", une sorte de compromis un peu décevant qui fait gagner ex aequo les obligations triviales des uns et des autres ainsi que l'amour qui devient alors raisonnable, apaisé, supportable à distance, deux ans passeront, la lutte devient vaine lorsque l'on peut faire des compromis.

Notons que l'ambiguité se poursuit dans un autre domaine : nous assistons à deux types de rencontre et de relation, une sorte de va-et-vient entre la rencontre des personnages fictifs et celle des acteurs réels. Il y a le plaisir de voir X et Y lentement s'attacher l'un à l'autre mais aussi de voir Cary Grant tomber amoureux d'Audrey Hepburn. La comédie romantique est un genre qui possède aussi ses personnages-types incarnés par des acteurs-types qui jouent plus qu'ailleurs leur propre rôle. La raison en est que la comédie romantique est le genre qui met en scène les histoires les plus probables, celles qui auraient presque pu arriver à ses acteurs : Hepburn (les deux) et Grant (Cary et Hugh) ou encore Julia Roberts, Meg Ryan, Sandra Bullock, Gregory Peck.

Il faudrait aussi évoquer l'apparition de l'anti-héroïne (Bridget Jones, Broken English), des comédies romantiques chorales (Love Actually, Valentine's Day), des histoires entre femme et fantôme (L'aventure de Madame Muir), des "je tombe amoureux sans te connaître" (Nuits blanches à Seattle), la comédie romantique féministe (Une éducation) et de tous les films qui parlent d'amour sans être pour autant des comédies romantiques.